Message à Kabila et Tshisekedi : éviter d’humilier la Cenco et la Communauté internationale
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C'est mardi dans une salle de congrès acquise à sa cause que le chef de l’Etat a présenté l’état de la nation.
Dans la foulée, Joseph Kabila a indiqué que l’accord politique issu du dialogue de la cité de l’UA, quoique « perfectible », reste la seule « feuille de route » pour baliser la voie vers des élections apaisées. Ce ton, apparenté de l’autre côté à celui de Tshisekedi, est un coup dur pour la Cenco et la communauté internationale dont les efforts consentis pour une sortie de crise risquent de partir en fumée.
Le président de la République a parlé. Hier mardi, tout le pays était suspendu à son adresse devant le Parlement réuni en congrès. La tradition a donc été respectée, constitution oblige. Joseph Kabila a livré son message sur l’état de la nation dans une salle de congrès plein comme un œuf. Il y est allé à son aise, introduisant son discours par un long rappel du chemin parcouru depuis son investiture le 26 janvier 2001.
Le chef de l’Etat est largement revenu sur les difficultés qui ont parsemé le parcours de la RDC dans différents secteurs, jusqu’à la signature à Sun City (Afrique du Sud) de l’Accord global et inclusif qui a jeté les bases de la démocratie congolaise. Résultat de sacrifices, d’abnégation et d’un sens élevé de dépassement. C’est cette démocratie, dit-il, acquise au terme d’un long processus qu’il entend désormais pérenniser dans les mœurs politiques congolaises. Après cette remontée dans les temps, le chef de l’Etat s’est alors appesanti sur les grandes questions de l’heure en rajoutant davantage.
La Cenco presque déboutée
Joseph Kabila ne s’est pas écarté de la ligne tracée par le dialogue politique de la cité de l’UA, qui a accouché de l’accord politique du 18 octobre 2016. Quid ? Dans un premier temps, il avait pris conscience de l’absence d’un maillon important au dénouement des assises de la cité de l’UA. Aussitôt, il a impliqué l’Eglise catholique pour convaincre ceux qui avaient boycotté lesdites assises à rejoindre finalement cette dynamique. Seulement voilà, avant même que la mission de bons offices n’ait livré ses conclusions, le chef de l’Etat s’est ravisé.
Dans son adresse, il a conjugué au passé la mission de la Cenco : « la mission que j’avais confiée à la Cenco… ». Or l’on sait qu’à ce jour, les évêques n’ont pas bouclé leurs consultations. Devant le congrès, le chef de l’Etat a fait part de « peu d’intérêt des concernés » ; allusion faite au Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement ainsi que d’autres plateformes politiques et organisations de la Société civile qui ont boycotté le dialogue de la cité de l’UA.
C’est un coup dur pour la Cenco et l’Eglise catholique. Comment celle-ci se relèvera-t-elle de cet affront ? Difficile à dire. Le chef de l’Etat n’a pas cru en la portée de l’initiative qu’il avait lui-même confiée au prélat. En outre, d’aucuns ont perçu dans son discours des signes d’énervement.
Dans les milieux proches des évêques, c’est l’émoi et la déception. Le chef de l’Etat a poliment débouté la Cenco alors que, rapportent nos sources, celle-ci était à l’étape de synthèse de ses conclusions et planifiait déjà des rencontres directes entre différentes composantes. La Cenco est humiliée. C’est le moins que l’on puisse. Nombre d’analyses sont désabusées par ce revirement, alors que tout était presqu’au point pour une médiation réussie de l’église catholique.
La communauté internationale non épargnée
Au-delà de la Cenco, le chef de l’Etat ne s’est pas empêché d’égratigner la communauté internationale. Qu’il l’ait fait moins d’une semaine après le passage d’une délégation de 15 membres permanents du Conseil de sécurité en RDC, n’est pas le fait du hasard. Tranchant, Joseph Kabila a une fois de plus agité l’arme de la souveraineté, pointant du doigt certaines « officines étrangères » qui cherchent à soulever la population pour une « insurrection ». C’est qu’il croit être le seul maitre à bord. Mardi, il l’a rappelé à ceux qui semblent encore l’oublier.
Tout comme à ceux qui s’interrogent sur son avenir politique, le chef de l’Etat s’est voulu légaliste. « À tous ceux qui semblent se préoccuper à longueur de journée de mon avenir politique, je tiens à dire, tout en les remerciant, que la RDC est une démocratie constitutionnelle, toutesles matières relatives au sort des institutions et de leurs animateurs sont réglées de manière satisfaisante. » a-t-il déclaré devant le congrès. Est-ce pour autant qu’il exclut l’option d’un troisième mandat présidentiel ? Là aussi, Kabila maintient le suspense : « N’ayant jamais été violée, la Constitution sera toujours respectée et ce, dans toutes ses dispositions ». Selon lui, son avenir politique importe peu, « la préoccupation majeure, la seule qui soit légitime, devait donc être et demeure plutôt celle de savoir quel avenir nous voulons offrir au Congo et aux Congolais ».
Un sursaut patriotique s’impose
Que s’est-il donc passé ? Certains estiment que tout a chaviré après le communiqué du Rassemblement daté du 13 novembre 2016 dans lequel les partis et plateformes politiques alliés à l’Udps d’Etienne Tshisekedi sont revenus sur le départ de Joseph Kabila le 19 décembre 2016. Ce communiqué aurait tout ébranlé et fait perdre son sang-froid au chef de l’Etat qui n’aurait eu d’autre choix que de se cabrer. Du coup les acquis engrangés par la Cenco sont partis en fumée.
Kabila a parlé. Il s’est déchargé, tout en durcissant son ton. Plutôt, il fait preuve d’énervement et d’impatience. A la facilitation il avait été accordé 15 jours. Les travaux ont pris 48 jours. Personne ne sen est offusqué. Ne fallait-il pas laisser aussi à la Cenco de bénéficier de la rallonge de 4 jours qu’elle avait sollicités pour boucler sa mission, les 11 jours n’ayant pas suffi ?
Les deux camps, Majorité et Rassemblement, portent la responsabilité d’un éventuel embrasement du pays. Toutefois, des analystes restent convaincus qu’une fenêtre reste encore ouverte pour un sursaut patriotique de part et d’autre. Ils ne pensent pas que le pont ait été totalement rompu entre Joseph Kabila et Etienne Tshisekedi. Les concessions sont encore possibles entre l’intransigeance de l’un et le cabrage de l’autre.
En reconnaissant que l’accord politique du 18 octobre 2016 est « perfectible », le chef de l’Etat laisse une petite brèche qui laisse un brin d’espoir pour une sortie de crise en douceur en vue des élections apaisées. Pour un accord, reconnu « perfectible », on ne peut pas d’emblée exclure l’hypothèse de l’amender pour atténuer les divergences.
Même si le chef de l’Etat n’a fait aucune mention de la Monusco dans son discours, il ne pourra pas minimiser le rôle de la communauté internationale dans la stabilisation de la RDC, ou ignorer le travail qu’abattent les diplomates accrédités en RDC. Il est vrai aussi que la communauté internationale ne laissera jamais la RDC sombrer dans le chaos. Aussi recommande-t-elle que Kabila et Tshisekedi se rencontrent et se parlent pour apaiser la tension et faciliter cette cohésion nationale que tous appellent de leurs vœux. La radicalisation de l’un ou de l’autre ne profitera à personne. C’est le pays qui sera mis à feu et à flamme.
Au Potentiel, c’est par devoir patriotique et obligation citoyenne que nous le disons – sans parti pris. Une façon de sonner l’alarme car la RDC est un patrimoine commun à tous les Congolais.
Le Potentiel